Jean de La Fontaine

Fables; livre VII



LE RAT QUI S'EST RETIRÉ DU MONDE
Les Levantins en leur légende
Disent qu'un certain Rat, las des soins d'ici-bas,
Dans un fromage de Hollande
Se retira loin du tracas.
La solitude étoit profonde,
S'étendant partout à la ronde.
Notre ermite nouveau subsistoit là dedans.
Il fit tant, de pieds et de dents,
Qu'en peu de jours il eut au fond de l'ermitage
Le vivre et le couvert : que faut-il davantage?
Il devint gros et gras : Dieu prodigue ses biens
A ceux qui font vœu d'être siens.
Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat
S'en vinrent demander quelque aumône légère:
Ils alloient en terre étrangère
Chercher quelque secours contre le peuple chat;
Ratopolis étoit bloquée
On les avoit contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent
De la république attaquée.
Ils demandoient fort peu, certains que le secours
Seroit prêt dans quatre ou cinq jours.
« Mes amis, dit le Solitaire,
Les choses d'ici-bas ne me regardent plus;
En quoi peut un pauvre reclus
Vous assister? que peut-il faire
Que de prier le Ciel qu'il vous aide en ceci?
J'espère qu'il aura de vous quelque souci. »
Ayant parlé de cette sorte,
Le nouveau saint ferma sa porte.

Qui désignai-je, à votre avis,
Par ce Rat si peu secourable?
Un moine? Non, mais un dervis * .
Je suppose qu'un moine est toujours charitable.


La Fontaine fait-il preuve d'ironie?
Le rat est bien un moine.
C'était mal vu à l'époque de critiquer l'église catholique ou, pour l'époque, l'église gallicane.
Critiquer l'église et ses institutions c'est critiquer le roi.
La Fontaine n'était pas, à la cour, en odeur de sainteté.
Relisez ses fables, elles sont beaucoup plus que des historiettes pour l'école primaire.
Vous y trouverez des ferments de saines révoltes.