Tous les hommes naissent libres ; dans le commencement [ . . .
] il n'y avoit
ni maîtres ni esclaves, dit Plutarque [ . . . ] .
C'est donc aller directement contre le droit des gens & contre la nature, que
de croire que la religion chrétienne donne à ceux qui la
professent, un droit
de réduire en servitude ceux qui ne la professent pas, pour travailler
plus
aisément à sa propagation. Ce fut pourtant cette maniere de
penser qui
encouragea les destructeurs de l'Amérique dans leurs crimes ; & ce n'est
pas la
seule fois que l'on se soit servi de la religion contre ses propres maximes,
qui nous apprennent que la qualité de prochain s'étend sur tout
l'univers.
Enfin c'est se joüer des mots, ou plûtôt se moquer, que
d'écrire, comme a fait
un de nos auteurs modernes, qu'il y a de la petitesse d'esprit à
imaginer que
ce soit dégrader l'humanité que d'avoir des esclaves, parce que
la liberté dont
chaque européen croit joüir, n'est autre chose que le pouvoir de
rompre sa
chaîne, pour se donner un nouveau maître ; comme si la chaîne
d'un européen
étoit la même que celle d'un esclave de nos colonies : on voit
bien que cet
auteur n'a jamais été mis en esclavage.
Les peuples qui ont traité les esclaves comme un bien dont ils pouvoient
disposer à leur gré, n'ont été que des barbares.
Les principes qu'on vient de poser étant invincibles, il ne sera pas
difficile
de démontrer que l'esclavage ne peut jamais être coloré par
aucun motif
raisonnable, ni par le droit de la guerre, comme le pensoient les
jurisconsultes romains, ni par le droit d'acquisition, ni par celui de la
naissance, comme quelques modernes ont voulu nous le persuader ; en un mot,
rien au monde ne peut rendre l'esclavage légitime.