Pierre BAYLE _ Pensées diverses écrites à un docteur de
Sorbonne à
l'occasion de la Comète qui
parut au mois de Décembre 1680
Que ne pouvons nous voir ce qui se passe dans l'esprit des hommes lorsqu'ils
choisissent une opinion ! Je suis sûr que si cela était, nous
réduirions le
suffrage d'une infinité de gens à l'autorité de deux ou
trois personnes, qui
ayant débité une Doctrine que l'on supposait qu'ils avaient
examinée à fond,
l'ont persuadée à plusieurs autres par le préjugé
de leur mérite et ceux ci à
plusieurs autres, qui ont trouvé mieux leur compte, pour leur paresse
naturelle, à croire tout d'un coup ce qu'on leur disait qu'à
l'examiner
soigneusement.
De sorte que le nombre des sectateurs crédules et paresseux
s'augmentant de
jour en jour a été un nouvel engagement aux autres hommes de se
délivrer de la
peine d'examiner une opinion qu'ils voyaient si générale et
qu'ils se
persuadaient bonnement n'être devenue telle que par la solidité
des raisons
desquelles on s'était servi d'abord pour l'établir ; et enfin on
s'est vu
réduit à la nécessité de croire ce que tout le
monde croyait, de peur de passer
pour un factieux qui veut lui seul en savoir plus que tous les autres et
contredire la vénérable Antiquité ; si bien qu'il y a eu
du mérite à n'examiner
plus rien et à s'en reporter à la Tradition.
Les moutons de Panurge(1) n'ont pas attendu le matraquage des mass media pour
bêler en choeur.
(1) Rabelais : Le quart livre; Chapitre VIII