Neuvieme partie    296.


Hélas! qu'êtes-vous devenues, une fois écrites et peintes, ô mes pensées? Il n'y a pas longtemps encore, vous étiez si diaprées, si jeunes, si malicieuses, si pleines de piquants et de secrets aromes; vous me faisiez éternuer, vous me faisiez rire. Et maintenant? Déjà vous avez dépouillé votre nouveauté, et quelques-unes d'entre vous sont prêtes, je le crains, à se changer en vérités. Voici qu'elles ont déjà revêtu cette apparence d'immortalité, si décourageante, si correcte, si ennuyeuse. Et en fut-il jamais autrement? Que sont-elles, ces choses que fixent nos plumes ou nos pinceaux de mandarins chinois, qui éternisons tout ce qui peut s'écrire? Quelles sont les seules choses que nous puissions fixer? Hélas! Celles seulement qui sont sur le point de se flétrir et d'exhaler leurs derniers parfums. Hélas! rien que des orages qui s'éloignent et s'épuisent, des sentiments déjà jaunis par l'automne. Hélas! rien que des oiseaux las de voler, égarés, qui se laissent prendre à la main, par notre main. Nous donnons l'éternité à ce qui n'a plus longtemps à vivre et à voler, aux choses lasses et trop mûres. Et c'est pour peindre votre vesprée seulement, ô mes pensées écrites et peintes, que j'ai encore des couleurs, beaucoup de couleurs peut-être, beaucoup de tendresses irisées, des bruns, des verts, des rouges, par centaines - mais nul ne devinera d'après ma peinture la splendeur de votre aurore, étincelles soudaines, merveilles de ma solitude, ô mes vieilles, mes chères_ mes mauvaises pensées!